Thursday, February 19, 2009

DOMINIQUE STRAUSS-KAHN - LE DIRECTEUR GÉNÉRAL DU FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL

« Il faut assainir le bilan des banques et refaire fonctionner le système de crédit »

Présent à Paris, dans le cadre notamment du Forum mondial sur la concurrence à l'OCDE, aujourd'hui, le directeur général du FMI estime qu'il faut accélérer les plans de relance et surtout procéder à l'assainissement du bilan des banques avant un retour à l'activité normale de crédit.

Quel est votre diagnostic aujourd'hui sur la crise ? Sommes-nous au point bas ou faut-il s'attendre à quelques mois encore de dégradation de la conjoncture ?

La situation est assez claire. L'année 2009 est déjà largement jouée et elle sera très mauvaise. Nous avions arrêté notre dernière prévision à 0,5 % pour la croissance mondiale - avec une récession de l'ordre de 2 % dans les pays avancés -, et les chiffres qui sont tombés depuis ne sont pas bons. La prochaine prévision du FMI, dans trois mois, pourrait bien s'approcher de zéro.

Quand l'horizon peut-il s'éclaircir ?

Je pense que le début 2010 peut être le moment de retournement, si... - il y a un certain nombre de conditions. La première question concerne les politiques publiques et les politiques de relance. J'avais appelé il y a un an à un effort massif. Aujourd'hui, le mouvement est positif, mais la mise en oeuvre reste parfois poussive. Il faut accélérer ! Surtout, le point décisif est le suivant : ces relances n'auront d'effet qu'à la condition que les mécanismes normaux de circulation du crédit fonctionnent à nouveau. Et autant je pense que le compte y est presque pour les plans de relance, autant ce n'est pas encore le cas pour l'assainissement du secteur financier et le nettoyage du bilan des banques. Le plan Geithner marque une vraie prise de conscience aux Etats-Unis. En Europe, la mise en oeuvre reste lente. Dès lors, le risque est que les plans de relance budgétaire patinent dans le vide.

Y a-t-il un risque que la situation se dégrade au-delà de ces 2 % évoqués pour les pays développés ?

Oui, il y a un risque que la récession s'aggrave. Mais ce n'est pas une fatalité, les politiques publiques peuvent nous permettre de résister.

Qu'est-ce que vous entendez par assainissement financier ? Que faudrait-il faire de plus ? Nationaliser davantage ?

Notre première évaluation des actifs toxiques dans les comptes des banques s'élevait à 1.000 milliards il y a un an, à 1.400 milliards en octobre et à 2.200 milliards en janvier dernier. Ce nombre augmente parce que de nouveaux actifs deviennent douteux à mesure que la crise s'approfondit. Toutefois, c'est moins un problème de milliards que de restauration de la confiance entre les acteurs financiers. La totalité des pertes n'a pas encore été mise au jour : environ 800 milliards l'ont été. Attention, cela ne veut pas dire qu'il en reste 1.400, puisque la valeur des actifs toxiques évolue elle-même avec le temps. Mais l'idée à retenir, c'est que nous ne sommes pas au bout. Par ailleurs, il faut faire le tri entre les banques qui vont disparaître et celles qui sont viables. Ce processus de sélection est encore devant nous.

Ce processus va-t-il toucher également toutes les régions du monde ?

Non. La question se pose probablement plus aux Etats-Unis, qui comptent 8.000 banques, qu'en Europe, où le secteur est moins morcelé. En Asie, les banques étant beaucoup moins exposées, l'effet purement financier de la crise les a moins touchées. Toutefois, les milliards annoncés d'une façon globale par les pouvoirs publics sont une chose. C'en est une autre d'éplucher puis de traiter les bilans, banque par banque, pour les assainir. D'une manière générale, il faut arrêter de dire. Il faut faire. Les plans sont imposants dans leur annonce, mais ce qui a été fait dans la réalité est encore insuffisant. Il faut aller plus vite, plus fort. Le FMI a l'expérience de 122 crises bancaires dans le monde et il y a des constantes : priorité doit être donnée aux recapitalisations et au traitement global.

Redoutez-vous un second choc financier sur les banques en raison de la dégradation de la conjoncture ?

Oui, un effet de second tour est possible. L'étincelle des « subprimes » a mis le feu à une poudrière : ensuite, des créances qui n'étaient pas mauvaises au départ le sont devenues du fait de la dégradation de la situation des emprunteurs.

Pourquoi les marchés ont-ils mal accueilli le plan du secrétaire au Trésor américain, Tim Geithner ?

Parce qu'il manque encore de précision, mais c'est pourtant la bonne réponse. Il y a un certain scepticisme sur la part du plan qui s'appuie sur un appel au secteur privé. Cela ne me paraît toutefois pas inquiétant. Ce qui est significatif c'est l'ampleur du plan de relance américain, de l'ordre de 5,5 % du PIB, qui est autrement plus imposant que le 1,5 % de l'Europe même si, en Europe, les stabilisateurs automatiques sont plus efficaces.

Comment sortira le système financier de cette crise ?

Très différent. Il doit d'abord passer par une phase de contraction pour s'assainir, ce qui est difficilement compatible avec la volonté des Etats, qui est de le voir rapidement très dynamique sur le crédit. Au-delà, la question est de savoir quel sera le rôle de l'Etat demain. Pour moi, il doit mieux réguler et mieux réglementer, mais il n'a clairement pas vocation à rester au capital des banques. Le problème, aujourd'hui, est de forcer au nettoyage des bilans.

Vous mettez beaucoup la responsabilité sur les Etats qui ne poussent pas assez à l'assainissement des banques. Mais celles-ci ne se montrent-elles pas frileuses ?

Elles le sont parce que la confiance n'est pas rétablie au niveau mondial. Si Renault et Peugeot ne trouvent pas de financement, ce n'est pas une question de mauvaise volonté, c'est que les banques ne sont pas en situation de prêter.

L'Europe a-t-elle davantage tardé à réagir ?

Ce n'est pas vrai de la Banque centrale européenne, qui a été très active depuis l'automne. Mais c'est vrai pour le plan d'assainissement du système financier. Il y a une explication de fond : la crise a démarré plus tard et l'Europe n'en est pas à l'origine. Il y a aussi une explication politique qui vaut partout : c'est difficile, aujourd'hui, d'injecter de l'argent dans des banques qui sont jugées fautives par l'opinion publique.

Y a-t-il des risques sérieux de défaut de paiement de certains pays ?

Un certain nombre de pays bénéficient de notre aide. Qu'une deuxième vague de pays viennent frapper à notre porte est vraisemblable. Pour l'heure, nous avons les ressources nécessaires. Mais si nous sommes appelés à financer beaucoup d'autres programmes dans les six mois à venir, il nous faudra plus de ressources. J'ai fixé l'objectif de 250 milliards de dollars. Le Japon vient d'en fournir 100.

Comment vous situez-vous dans le débat entre la relance par l'investissement et la relance par la consommation ?

Je n'aime pas les débats théologiques. Il est inutile d'opposer l'un à l'autre. Le panachage dépend de la situation de chaque pays. L'exemple japonais montre qu'on ne peut pas s'en sortir seulement avec une politique de taux zéro. Il faut aussi assainir le bilan des banques et refaire fonctionner le système de crédit. Le cas japonais d'hier est typique des erreurs et des attentismes à ne pas reproduire.

Les craintes d'un retour au protectionnisme resurgissent. Les partagez-vous ?

Oui. Néanmoins, le protectionnisme, aujourd'hui, ne se manifeste pas, comme dans les années 1930, par une hausse des tarifs douaniers. Il est plus sophistiqué et concerne au moins autant la sphère financière. Quand un pays incite ses banquiers, en contrepartie d'une aide sous forme de recapitalisation ou de garantie de dépôt, à consacrer exclusivement leurs activités de crédit au niveau national, c'est une forme de protectionnisme. Ce rapatriement des capitaux des grands pays pourvoyeurs de fonds auquel on assiste aujourd'hui n'est pas sans conséquence sur les pays émergents. Privilégier les problèmes internes sans se préoccuper des effets pervers à l'extérieur est une attitude proche du protectionniste. La crise actuelle possède deux caractéristiques. Primo, c'est la première crise des liens entre le secteur financier et le secteur réel. Secundo, elle est globale. Par conséquent, il n'y a pas de solution nationale. Tous ceux qui croient qu'ils vont sauver leurs emplois par des mesures nationales se trompent.

PROPOS RECUEILLIS PAR HENRI GIBIER, RICHARD HIAULT ET DOMINIQUE SEUX

Les Echos 19/2/2009

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