Wednesday, June 03, 2009

Banques-Etat : divorce sous conditions

Certains soirs, quand je suis seul, j'aime me repasser la vidéo de mon mariage à l'envers pour me voir sortir de l'église en homme libre », plaisantait un certain George Coote (*). Depuis que les Bourses se sont calmées, on dirait que les banquiers du monde entier sont en train de regarder le film de la crise à l'envers pour recommencer comme avant, dégagés des tenailles de la puissance publique. Leur priorité actuelle : rembourser l'aide en capital que leur a octroyée leur Etat au plus fort de la tempête. C'est pourtant eux qui l'avaient appelé à leur secours. Ne doit-il donc pas imposer quelques conditions au divorce ? Il le peut d'autant plus que les banquiers ne demandent pas une séparation totale, qui leur serait certainement fatale : une bonne partie de la dette des banques et tous leurs dépôts restent garantis par l'Etat. Et les banques centrales continuent à soutenir le marché interbancaire...

La semaine prochaine, le Trésor américain pourrait ainsi annoncer le nom de plusieurs banques autorisées à rembourser la recapitalisation qu'elles avaient obtenue dans le cadre du plan de soutien au système financier (le fameux Tarp) voté après la chute de Lehman. Goldman Sachs, JPMorgan Chase, en tout probablement une demi-douzaine d'établissements, devraient ainsi voir à nouveau leur capital entièrement détenu par des mains privées. Au Royaume-Uni, l'Etat sonde déjà des fonds souverains pour commencer à se délester, d'ici à un an, espère-t-on, de ses participations bancaires. En France, les établissements financiers, même si certains avaient d'abord rechigné à accepter l'argent de l'Etat, n'ont pas commencé à faire pression pour reprendre leur liberté capitalistique. Mais ils promettent déjà de s'y atteler dès que la situation le leur permettra.

Le but pour les banquiers est principalement d'avoir les mains libres pour octroyer à leurs salariés, et à ceux qu'ils veulent recruter, les bonus qu'ils jugent mérités sans heurter l'opinion publique, très irritable en la matière. Les banques veulent aussi davantage de liberté stratégique. Elles veulent choisir leurs dirigeants, que l'Etat pourrait démettre d'un geste. Le régulateur américain veut par exemple la démission de Vikram Pandit, PDG de Citigroup. Enfin, la participation de l'Etat à leur capital coûte cher aux banques, car la puissance publique demande des dividendes élevés.

A moyen terme, les contribuables, les entreprises et les concurrents des banques ont tout à gagner à ces remboursements. Cette aide publique suscite la jalousie des entreprises non bancaires en difficulté. Surtout, elle tient les Etats officiellement responsables des centaines de milliards d'euros d'engagements des banques envers leurs contreparties. En outre, la plupart des experts s'accordent à penser que l'Etat n'a pas les ressources suffisantes pour gérer ces banques. Enfin, au lendemain d'un séisme qui a surtout frappé les places financières occidentales, il est important de ne pas brider les banques de la zone. L'axe NyLon (New York - Londres) est désormais sérieusement menacé par ShangKong (Shangai - Hong Kong).

Mais n'est-ce pas trop tôt pour libérer ce secteur ? Car le monde vit une crise d'une ampleur qui n'intervient qu'une fois par siècle et l'opinion publique espère que des leçons ont été tirées.
Certains critiques notent qu'une sortie des banques de la rassurante tutelle capitalistique de l'Etat peut fragiliser le financement de l'économie, encore vulnérable, et ce, d'autant que les banques doivent payer chèrement leur autonomie en empruntant. Surtout, quand les principales banques auront regagné leur indépendance, l'Etat n'aura plus la même influence sur elles pour pousser les réformes du système. Dans un article (**) très remarqué, Simon Johnson, ancien économiste du FMI, compare les banquiers américains - dont beaucoup sont restés en place - aux oligarques russes, tant ils ont de pouvoir face aux pouvoirs publics.

Certes, le chantier du renforcement de la réglementation a commencé des deux côtés de l'Atlantique. Mais, en matière d'encadrement des bonus - qui récompensent des comportements inconséquents -, en matière de transparence et de contrôle des marchés de produits dérivés - qui ont exacerbé la panique (cf. AIG) -, en matière de normes prudentielles - trop lâches comme l'ont montré les produits structurés à base de « subprimes » placés en hors- bilan -, on est loin du but. Même le modèle si décrié de la banque « too big to fail », au secours de laquelle l'Etat devra toujours venir en cas de problème, reste l'objectif ultime des banquiers. Le G20 de septembre à New York sera un rendez-vous important pour faire le point sur la réglementation.

Les Etats ont déjà des difficultés à harmoniser leurs interventions. D'ici là, ils auraient peut-être intérêt à tenir la bride à leurs banques.

Nicolas Madelaine est journaliste aux Echos.fr.

(*) « Wit Hits the Spot », Des MacHale.
(**) « The Quiet Coup » (« Le Coup d'Etat tranquille »), www.theatlantic.com.

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